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Extrait des Mémoires de Sully



AU SUJET DE LA BATAILLE DE COUTRAS (20 octobre 1587).
Extraits de « Mémoires de SULLY »
présentés et annotés par Louis-Raymond LEFEVRE.
Coll. « Mémoires du passé pour servir au temps présent »
NRF GALLIMARD (3° éd.) 1942.
L'ouvrage est disponible à la bibliothèque du GRAHC
(ouverte les mercredi et samedi, de 10 à 12 h).


Page 52.
Le roi de Navarre, ayant joint à lui messieurs les princes de Condé et comte de Soissons, vicomte de Turenne, seigneur de la Trimoüille, comte de La Rochefoucauld et autres seigneurs, avec ce que chacun d'eux avait pu rassembler de gens de guerre, s'avança, partant de Ponts, vers Montlieu, Montguyon et la Rochechalais, le jour de devant que M. de Joyeuse eut pris son logement aux environs de Chalais et d'Aubeterre, tellement que le jour suivant il arriva que chacun des deux camps fit un même dessein, à savoir, de se saisir des gués et passage des rivières de l'Isle et Dronne.
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Page 53
Chacun des deux chefs, estimant que le logis de Coutras serait grandement avantageux pour ce qu'il voulait entreprendre, fit aussi tout ce qu'il pensa pouvoir servir à s'en assurer ; mais M. de la Trimoüille ayant eu cette commission du roi de Navarre avec une troupe de deux cents ou deux cent cinquante chevaux et autant d'arquebusiers à cheval, et trouvant M. de Lavardin en campagne avec ce même dessein et beaucoup plus faible que lui, il le contraignit, après s'être un peu chamaillés, de lui quitter le logis et de se retirer sur ses pas pour avertir M. de Joyeuse qu'il avait été prévenu..
Le roi de Navarre s'étant aussitôt logé avec toute son armée dans Coutras, et désirant lui faire passer la rivière sans embarras, dès le lendemain il ordonna M. de Clermont, vous, Bois du Lys et Mignonville pour faire accommoder les passages, et passer toute la nuit l'artillerie, son cariage et les bagages du camp.
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Mais le roi de Navarre, étant averti par quelques prisonniers que tout le camp ennemi marchait en gros et en diligence, résolu de donner bataille, et qu'il pourrait être à vue du sien dès les sept à huit heures du matin, reconnut aussitôt qu'il lui serait impossible d'avoir fait passer plus de la moitié de ses troupes avant que d'avoir l'ennemi sur les bras. Partant il pensa qu'il valait beaucoup mieux se résoudre à la bataille avec toutes ses forces, que de se laisser attaquer par pièces en se retirant. A quoi tous les gens de qualité et les capitaines qui l'assistaient conclurent semblablement ; si bien que l'on n'oyait plus retentir autre voix parmi eux , que «bataille ! bataille !» En même temps, ayant appelé M. de Clermont, vous et Bois du Lys, il vous commanda de faire repasser l'artillerie promptement avec son équipage, et la loger au lieu où il voulait prendre son champ de bataille qu'il vous montra lui-même.
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..., et de placer tout cela où le roi de Navarre vous avait commandé, qui était une petite élévation de terre fort avantageuse, avant que les deux armées ne fussent déjà rangées en ordre de combat l'une devant l'autre, prêtes d'en venir aux mains. N'eut été la faute que M. de Joyeuse fit, d'avoir mal logé ses pièces à l'abord (car reconnaissant que pour être trop basses elles lui seraient inutiles, il fut contraint de les déplacer et replacer ailleurs, en quoi il fut consommé beaucoup de temps) celles que vous aviez en charge fussent arrivées trop tard pour le combat...
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Les deux canons et la couleuvrine que M. de Clermont, vous, et Bois du Lys aviez en charge, firent des merveilles, ne tirant une seule volée qu'elle ne fit des rues dans les escadrons et bataillons du camp ennemi, qui étaient jonchées de douze, quinze, vingt et quelquefois jusqu'à vingt-cinq corps d'hommes et chevaux. Si bien que les ennemis, lesquels, pour avoir d'abord renversé les deux troupes où commandaient messieurs de Turenne et de la Trimoüille, avaient déjà crié victoire, ne pouvant plus souffrir une destruction de pied coi, furent contraints de venir au combat en désordre, et sans attendre le commandement. Ils furent mis en déroute par les trois escadrons du roi de Navarre, du prince de Condé, et du comte de Soissons, chacun desquels par les coups qu'il donna, et ceux dont ses armes étaient martelées, témoigna suffisamment la grandeur de son courage, et que ces braves princes en telles occasions ne s'épargnaient non plus que des simples soldats.
Si tôt que vous vîtes les ennemis en déroute, et que, sans doute, la bataille étant gagnée, vous n'aviez plus que faire au canon, vous montâtes sur votre grand cheval d'Esagne bai, que vous aviez eu de M. de la Rocheguyon,
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pour essayer d'apprendre des nouvelles de messieurs vos frères, que vous cuidiez être avec M. de Joyeuse, et savoir aussi en quel état le roi de Navarre était, lequel vous rencontrâtes par delà la Garenne, l'épée toute sanglante au poing, poursuivant la victoire : et si tôt qu'il vous aperçut vous cria :
- Eh bien, mon ami, c'est à ce coup que nous ferons perdre l'opinion que l'on avait prise que les huguenots ne gagnaient jamais de batailles ; car en celle-ci la victoire y est toute entière, ne paraisant aucun ennemi qui soit mort ou pris, ou en fuite, et faut confesser qu'à Dieu seul en appartient la gloire, car ils étaient deux fois aussi forts que nous ; et s'il en faut attribuer quelque chose aux hommes, croyez que M. de Clermont, vous, et Bois du Lys, y devez avoir bonne part, car vos pièces ont fait merveilles : aussi vous promets-je que je n'oublierai jamais le service que vous m'y avez rendu.